BIOGRAPHIE

 

Christiane Laforge, Pascale Delhaies et Néo Lévesque

Texte de Christine Martel

lu à la présentation de Dominique Lévesque

au Gala de l’Ordre du Bleuet, le 19 novembre 2021



Dépasser constamment ses limites, vouloir tout savoir et fouiller tous les sites d’informations, répondre à toutes les interrogations, s’inquiéter qu’une donnée lui échappe, se coucher quand il n’en peut plus, croire que sa vie sera trop courte pour tout faire... tel était Dominique Lévesque. L’homme de tous les talents choisit, très tôt, de mettre à profit sa créativité débridée au bénéfice d’une carrière polymorphe. Si ce boulimique de travail reste bien vivant dans nos cœurs, c’est que son passage sur terre aura marqué, à jamais, notre imaginaire collectif. En effet, il a su investir chaque seconde de son existence au développement et à la diffusion d’une culture populaire et artistique qui a bien profité de son savoir-faire. Son départ précipité laisse un vide difficile à combler.



Dominique naît à Bagotville, le 10 juin 1952, quatrième enfant d’une famille de huit, intelligent et réservé. Épicier féru de lecture, son père, devenu enseignant, déménage sa famille à Thetford-Mines. À six ans, comme son père, Dominique a toujours le nez dans les livres et s’intéresse déjà aux sciences. Timide mais hyperactif, il met rapidement ses faiblesses au service de ses forces, et son imagination est en feu. Pendant ses études classiques et collégiales, il rejoint la troupe de théâtre Les Cabotins et y découvre son orientation.


À 24 ans, frais émoulu du baccalauréat en enseignement du théâtre de l’UQAM, Dominique veut faire sa marque dans le monde du spectacle. Guitariste et harmoniciste, malgré un trac difficilement surmontable qui ne le quittera jamais, il tente brièvement sa chance comme chansonnier ou comédien. Mais il est encore entraîné sur les traces de son père et rejoint le Cégep de Jonquière, pour y enseigner le français et le théâtre. Gentil, intense, généreux envers ses étudiants comme envers ses collègues, à tous ceux qui le questionnent, il prodigue son savoir avec amour. Avec son indéfectible complice, Pierre-Paul Legendre, il enrichit ses contenus de cours et révise constamment ses méthodes d’apprentissage, avec un brin d’ironie et de désinvolture. Son dynamisme est contagieux. Ainsi sont fondées, avec d’autres confrères, les Productions PÉPÉDOMCHARLOTMARYVON qui diffusent deux ou trois spectacles professionnels par session et organisent un gigantesque festival pour la présentation de spectacles de leurs étudiants de théâtre.


Bientôt le parcours de Dominique dessine deux voies parallèles intimement reliées : l’une où il sera généreusement attentif à son enseignement, l’autre où il multipliera ses expérimentations du monde du spectacle. Concepteur, écrivain, comédien, metteur en scène, manipulateur d’objets, vidéaste et documentariste, l’avant-gardiste communicateur se multiplie, poussé par un intarissable esprit inventif. 


Il écrit d’abord une pièce archidocumentée, Du mammouth à Elvis Presley, spectacle visionnaire aux multiples trouvailles, qui embrasse l’évolution du monde des communications, à une époque où Internet n’existe pas. Montée avec quelques passionnés, et un budget de trente-six piastres et quart probablement tirées de sa poche, il y déploie des trésors d’ingéniosité pour illustrer chacune des inventions qui ont révolutionné les échanges entre les humains. Caractérisée par l’utilisation de gadgets et de technologie, la création fait salle comble et est reprise, à l’été, dans la petite école de Val-Jalbert. L’année suivante, il sort de son chapeau les fantasmagories du théâtre noir. Ces manipulations d’objets, réfléchis sous de fluorescents spéciaux, initient les étudiants au langage gestuel. 


En 1982, des étudiants d’ATM tentés par l’improvisation font appel à son aide. Dominique, entraînant son ami Pierre-Paul, devient le leader de l’organisation dont les activités culmineront, en février 1983, dans un retentissant Tournoi régional d’impro. Cette aventure le met en contact avec Marie-Lise Pilote, Dany Turcotte, Émile Gaudreault et Bernard Vandal, ses futurs collaborateurs du Groupe Sanguin. Entretemps, avec le Service audiovisuel du Cégep, il remporte le prix du ministère de l’Éducation pour une série vidéo sur les méthodes de recherche d’emploi. 


En septembre 1985, le budget du département ne permet plus d’assumer l’augmentation du coût des droits d’auteurs pour les extraits de pièces que présentent les collégiens. Il faut restructurer le cours. L’enseignant perfectionniste propose à ses collègues de faire écrire aux étudiants, en équipe, une courte pièce de vingt-cinq à trente minutes. Heureuse décision et nouveau défi qui met à contribution toutes leurs connaissances, à toutes les étapes de la production.


Dominique lance ensuite les soirées de stand up comique au Café Chez l'Bedeau à Jonquière. L’expérience est décisive. Sa passion pour la création l’emporte sur son amour de l’enseignement. Avec ses meilleurs étudiants, il fonde le Groupe sanguin, quitte le Cégep et réalise enfin son rêve le plus cher : conquérir les foules et faire sa place dans le monde tumultueux du showbiz. De 1986 à 1990, le quintette émerveillera le public par ses numéros loufoques, ingénieux, acrobatiques et réglés comme des horloges.


À partir de 1992, le duo Lévesque et Turcotte se constitue et se promène pendant vingt ans dans toutes les régions. Un million de billets vendus et 2 000 représentations dans toutes les salles du Québec populariseront, entre autres, les personnages inoubliables du gars fatigué, du concierge et du savant fou.


Il ajoutera à ces activités, l’interprétation de nombreux rôles au cinéma dans Thetford au milieu de nos vies, de Fernand Dansereau, en 1980; puis dans Ding et Dong, le film, en 1990, le Cœur au poing, en 1998, Le petit ciel, en 1999 et La vie après l’amour, en 2000. Il participe à l’écriture du scénario de Doux aveux, également de Fernand Dansereau, en 1982. 


Retiré de la scène, Dominique, père attentionné, consacre les quinze dernières années de sa vie à l’éducation de ses trois merveilleux enfants. Concurremment, il poursuit la conception et la production de jeux télévisés. L’Union fait la force, un indéniable succès, est diffusé pendant dix ans sur les ondes de Radio-Canada. Puis Fort Boyard, Au suivant, Les Mordus et Testé sur des humains font encore monter les cotes d’écoute. 


Mais celui qui ne fait rien à moitié nous réservait un ultime coup de théâtre. En décembre 2017, lors d’un voyage au Honduras, il meurt subitement à 64 ans, emporté par un infarctus fulgurant, lors d’une plongée en apnée, sport qu’il affectionne particulièrement. On se souviendra longtemps du sourire timide de ce personnage attachant, amoureux de sa région qu’il aura fait rayonner par son urgence de vivre et son audace dignes des plus magnifiques conquérants de l’absurde.




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